En septembre 2021 auront lieu les primaires rassemblant tous les candidats verts pour l’élection présidentielle. Trois se sont portés officiellement candidats : Yannick Jadot, Sandrine Rousseau et enfin Eric Piolle. Si le premier semble être favori pour remporter la primaire, le dernier en est un sérieux outsider.

Eric Piolle est un féru de sport, et notamment des Boston Celtics - © Crédits photo : Libération
I- Quel bilan pour le maire de la ville de Grenoble ?
Premier maire vert d’une grande métropole française en 2014, Eric Piolle voulait faire de Grenoble un laboratoire de l’écologie. Son objectif s’annonçait difficile, lui qui allait hériter de la ville la plus polluée de France, s’est engagé à faire d’elle une ville pionnière en terme de respect de l’environnement. Sa réélection et la soudaine poussée verte aux élections municipales de l'an dernier tend à sacrer la victoire de la ligne “Piolle” au sein des instances d’EELV. Pourtant de nombreuses voix dans l’opposition se sont élevées contre son élection, jugeant son bilan particulièrement décevant dans de nombreux domaines, comme la sécurité et l’emploi. Alors, qu’en est-il ?
Écologie
« Nous sommes des pionniers ! Nous avons inventé quelque chose de nouveau, que beaucoup regardent aujourd’hui, et qui peut donner de bonnes idées ailleurs ! » s’exclamait Éric Piolle le soir de son élection en 2014. Nombreuses ont été les promesses tenues par le candidat en matière d’écologie. On peut dénombrer entre autres le passage de 60% des cantines au bio, la tarification sociale de l’eau, le bannissement des panneaux publicitaires, la prime air-bois et la fourniture en énergie verte qui devrait couvrir à 100 % les ménages d’ici 2022.
L’une des mesures phares de son mandat reste néanmoins la généralisation de la zone 30 et la construction d’une autoroute à vélos qui ne cesse de susciter l'émoi au sein de la capitale des Alpes. De nombreux habitants se sont munis de leurs bicyclettes pour se déplacer quotidiennement, si bien que l’on compte, selon l’INSEE, près de 15,2% des actifs qui rejoignent leur lieu de travail par ce moyen de locomotion. Cela place la capitale des Alpes au deuxième rang national, juste derrière Strasbourg (16%) et loin devant Bordeaux, troisième (11,8%). Le maire ne veut pas s’arrêter au centre-ville, puisqu’il a créé un réseau « Chronovélo » liant onze communes de la métropole grenobloise.
Ces mesures n’ont toutefois pas fait que des heureux, en premier lieu, les automobilistes. Depuis le début du mandat, la métropole est devenue de plus en plus embouteillée, si bien qu’elle est passée de la dixième ville la plus embouteillée à la quatrième place selon une enquête réalisée par Tom-Tom.
Son objectif premier à l’élection municipale était d’améliorer la qualité de l’air de la ville. Selon une étude publiée en octobre 2020 par Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, l'observatoire de surveillance de la qualité de l'air dans la région, le nouveau plan de circulation mis en place à partir d'avril 2017 n'aurait pas « d'effet global sur l'exposition au dioxyde d'azote (NO2) des habitants de l'agglomération ». Il aurait entraîné des « effets locaux » à proximité de certains axes du centre-ville, positifs pour 6.400 Grenoblois et… négatifs pour 5.300 autres. Ainsi, si ses promesses ont amélioré la qualité de vie de certains, elles ont surtout déplacé le problème en périphérie. Sans doute le réseau « Chronovélo » résoudra le problème, il est encore trop tôt pour le dire…
Emploi et économie
L'autoroute à vélos a également fait d’autres mécontents : les commerçants. De nombreux automobilistes ne peuvent plus accéder au centre-ville pour faire des emplettes. Depuis 2017, on peut noter une baisse du chiffre d'affaires des commerces au centre-ville, si bien que de nombreux commerces ferment leurs portes. On dénombre un fort taux de vacance des commerces, autour de 10,4% et une chute du prix de l’immobilier commercial. Pour autant, le chômage n’a pas progressé, au contraire puisqu’il est passé de 8,2% à 6,4% entre 2016 et 2020. Comparativement aux autres villes françaises, cela ne semble ni un exploit ni un échec, puisqu’elle est passée de la 68ème zone emploi avec le plus faible taux de chômage de France à la 75ème.
Selon les calculs d’une étude de l’Ifrap, Grenoble occupe la 15e place des villes les mieux gérées de France (sur 20), et la deuxième dont l'endettement est le plus difficile à résorber juste derrière Paris. Éric Piolle n’a pas hérité d’une situation économique de la ville très avantageuse, mais n’a pas forcément réussi à améliorer la situation. Celui-ci renvoie la faute à l’État, qui a baissé de 30% sa dotation globale de fonctionnement à la ville, passant de 44 à 28 millions d'euros. Une politique d’austérité a donc été menée durant son mandat : baisse des subventions aux associations, fermeture de deux bibliothèques, coupes dans le service de santé scolaire, non remplacement de départs d’agents municipaux ou encore hausse des tarifs d’entrée des piscines. Toutes ces politiques ont permis de limiter la casse, mais n’ont pas inversé la tendance au désendettement de la ville.
Sécurité
La ville est « pourrie et gangrenée par le trafic de drogue », selon la formule choc de son procureur Jean-Yves Coquillat, si bien qu’elle est nommée par certaines personnes le “Chicago” français. La sécurité est au cœur des préoccupations des Grenoblois, bien qu'ils soient très divisés sur leur sentiment de sécurité, puisque 50% d'entre eux disent avoir le sentiment de vivre en sécurité, et 47% disent le contraire. Une vive passe d'armes avait eu lieu l’été dernier sur ce sujet entre le ministre de l’Intérieur et l’édile grenoblois après la publication d’une vidéo d’hommes armés dans le quartier Mistral. Le premier jette la faute sur son compère en pointant le manque de policiers municipaux (un agent pour 1580 habitants à Grenoble, contre un pour 550 habitants à Nice) et la quasi absence de vidéo surveillance, et le second en fait de même sur le manque de moyens déployés par l’État suite à la suppression de la police de proximité sous Sarkozy.

La qualité de l'air dans le centre de Grenoble s'est largement améliorée - © Crédits photo : Ville de Grenoble
II- Quel poids face à ses concurrents ?
Outsider à la primaire, et très clairement outsider dans la gauche en général, Eric Piolle, encore très méconnu grand public, parviendra-t-il comme la plupart des verts à déjouer les pronostics ?
Quelles chances face aux autres candidats verts ?
Il y a une tradition à chaque primaire chez les verts : le favori n’a que très rarement les faveurs des militants. En 2001, par exemple, Noël Mamère est battu par Alain Lipietz. En 2011, Nicolas Hulot échoue à représenter EELV face à Eva Joly, et de beaucoup. En effet, le premier affiche un score de 41% tandis que la seconde de 59%. L’histoire se répète en 2016 lorsque Cécile Duflot se présente face à Yannick Jadot, où elle ne parvient même pas à atteindre le second tour puisqu’elle ne décroche que 24% des voix de l’électorat vert. Alors, la malédiction des verts est-elle une bénédiction pour Éric Piolle ?
Éric Piolle bénéficie en effet d’un fort soutien de la base électorale verte contrairement à Yannick Jadot, dont la légitimité est de plus en plus remise en question. « S'il va dans une primaire à 15 000 ou 20 000 participants, Jadot est mort », avertit l'ex-EELV Christophe Rossignol, membre du Parti Liberté, Ecologie Fraternité. « Ils lui préféreront le maire de Grenoble Eric Piolle, qui a un profil à la Eva Joly, où l'on punit tout le monde. Interdire la viande dans les cantines, interdire les voyages en avion, c'est ça qu'aime le militant écolo de base, interdire… » Face à un Hollande vert que représente Yannick Jadot, Eric Piolle a finalement tout à gagner par sa radicalité.
Face à Sandrine Rousseau, il a une image beaucoup plus “terrain” puisqu’il a dirigé une grande ville pendant plusieurs années. Ce qui n’est pas le cas de son opposante qui est davantage dans les sphères intellectuelles par son statut d’enseignante-chercheuse à l’université de Lille et ses anciennes fonctions dans les conseils régionaux et départementaux.
Enfin, Éric Piolle a les élections municipales derrière lui, où 47% des habitants se sont prononcés en faveur de sa réélection dès le premier tour.
Quelle stratégie adopter s’il venait à remporter la primaire ?
Si sa réputation est à son avantage au sein des instances d’EELV, au niveau national son manque de notoriété pêche particulièrement. Un sondage Ifop crédite le maire de Grenoble de seulement 2 % des suffrages s’il représentait les écologistes en avril 2022.
Toutefois, de nombreuses qualités sont soulignées au sein de la gauche plurielle. C’est le seul qui est capable de parler à tout le monde, et de créer un “arc humaniste” de François Ruffin à Anne Hidalgo, comme il est parvenu à le faire pour sa réélection à Grenoble. On pourrait alors aisément l’imaginer comme le rassembleur de toute la gauche pour les élections présidentielles, tâche que Benoît Hamon n’était pas parvenu à réaliser en 2017 malgré le soutien de Yannick Jadot.

Éric Piolle s'est engagé à faire de Grenoble le laboratoire des écologistes - © Crédits photo : Reporterre
III- Quel président serait Éric Piolle ?
S’il venait à gagner, Éric Piolle serait sans doute amené à transposer le laboratoire isérois à l’échelle nationale. Dans la formation politique, on pourrait déjà imaginer un gouvernement d’union de gauche intégrant aussi bien des partis animalistes que des partis habitués au gouvernement comme le PS.
Relations internationales et européennes
S’il venait à avoir les mêmes positions que ses compagnons à EELV, Éric Piolle serait particulièrement empreint des idées de pacifisme, d’universalisme et d’humanisme. Concrètement cela se traduirait en Europe par une politique de défense commune, “championne mondiale de la défense du multilatéralisme et des droits humains”, dont les armes ne seraient plus nucléaires ou militaires, mais diplomatiques à travers des sanctions économiques ciblées, les droits de douanes, le contrôle des flux de capitaux. Cela nécessiterait un désengagement européen pour l’arme nucléaire via une ratification du Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires. Un centre de commandement européen commun serait tout de même créé pour mener des opérations extérieures communes. L’OTAN serait ainsi dissoute. Toute intervention serait alors soumise à l'approbation préalable du Parlement Européen réuni en session exceptionnelle.
Les écologistes souhaitent également s’intégrer dans l’UE vers davantage de fédéralisme, par l’élection notamment des eurodéputés via des listes transnationales. Ce fédéralisme aurait pour contrepartie une annulation des accords de libre-échange avec les autres continents afin de préserver le rôle du citoyen face au pouvoir des multinationales. Tout cela serait institué au travers d’une Constitution européenne validée par un référendum européen avec un résultat à la double majorité qualifiée des citoyens et des États membres.
Ce fédéralisme se traduirait par un budget commun de transformation écologique et sociale, correspondant au minimum à 5% du PIB européen sur 7 ans. Il permettrait de financer des investissements dans la transition écologique (rénovation thermique des bâtiments, énergie renouvelable, transports publics…) et dans les infrastructures sociales (écoles, universités, hôpitaux…). Il serait soutenu par une banque européenne d’investissement, qui serait alors une banque européenne du climat ayant la possibilité de se financer auprès de la BCE. Une fiscalité européenne commune, mettant fin aux paradis fiscaux via la mise en place d’un taux minimal d’imposition sur le bénéfice des sociétés permettrait d’augmenter les ressources européennes en faveur de la transition écologique.
Transports, énergie et nouvelles technologies
Proche des milieux décroissants, on pourrait voir de fortes incitations à la limitation de déplacement. En plus d’une incitation à une économie du partage plutôt qu’une économie de la possession, on pourrait déjà envisager l’interdiction de vols aériens intérieurs et l’incitation à utiliser les chemins de fer. Si l’on transpose son action politique locale à l’échelle nationale, Éric Piolle pourrait davantage passer par des interdictions et des obligations plutôt que des incitations fiscales.
En matière d’énergie, le maire de Grenoble a fixé pour objectif qu’en 2022, 100% de l’électricité dépensée soit d’origine non carbonée. Contrairement à Arnaud Montebourg ou à Jean-Marc Jancovici, il s’est déclaré contre le nucléaire et pousserait davantage à l’utilisation d’énergies renouvelables. Tenant de la sobriété heureuse, son principal agenda sera avant tout de réduire la consommation d’énergie totale afin de pallier les manques des énergies renouvelables.
Partisan de la low tech, il se montre défavorable à la 5G, il déclare même à ce sujet : "La 5G servira à regarder du porno dans l'ascenseur en HD". Il indique que le numérique émet aujourd'hui 4 % des gaz à effet de serre, un chiffre qui doit doubler d'ici cinq ans. C’est en cela qu’il préfère d’abord mettre fin aux zones blanches plutôt que d’accentuer les inégalités entre les grandes métropoles et les campagnes.
Avancées sociales et sociétales
Au niveau national, on pourrait s’attendre à des changements sociétaux. Ainsi tweet-il : « La France doit légaliser le cannabis. Sortons de cette hypocrisie qui détruit la santé de notre jeunesse et qui épuise nos forces de l'ordre qui font de leur mieux ». Il promeut une légalisation contrôlée comme aux États-Unis afin de soutenir ceux qui sont particulièrement addicts et d’alléger les forces de l’ordre.
Beaucoup à gauche et à droite se sont émus de l’absence de message de condoléances officiel d’Éric Piolle suite à l’assassinat de Samuel Paty. On en retrouvera un seulement 48h après l’attentat. De la même manière pendant trois ans, la mairie iséroise a été prise la main dans le sac en train de subventionner une association du Culte Contre l’Islamophobie en France (CCIF), dissoute en 2020 par le ministre de l’Intérieur car elle serait une « officine islamiste œuvrant contre la République ». Tout ceci pose la question de la relation qu’entretient Éric Piolle avec les mouvances islamistes, et ce qu’il ferait pour lutter contre elle s’il était amené à diriger le pays.
Si le manque de notoriété est le principal obstacle à son ascension, le maire de la capitale des Alpes a malgré tout de très forts atouts pour gagner la primaire des verts. Reste à savoir s’il parviendra à faire mieux qu’Eva Joly en 2012 (2%). Pour le moment, les sondages ne sont pas à son honneur.
Article écrit par Calliste de Vauplane
Président de Tribunes ESCP 2021